La question de l’utilisation du perroquet en zoothérapie revient de plus en plus souvent, surtout depuis que cet animal est devenu populaire dans les foyers. Certains voient en lui un compagnon affectueux, sensible et réceptif aux émotions humaines. Mais cette perception suffit-elle à en faire un animal approprié pour intervenir dans des séances thérapeutiques avec des personnes vulnérables ? De mon point de vue, je crois qu’il est essentiel d’analyser cette question avec lucidité, respect pour l’animal, et en considérant non pas ce qu’il « peut apporter à l’humain », mais ce qu’il est réellement capable de vivre, de tolérer et de consentir.
Contrairement aux chiens, chats ou lapins, le perroquet n’est pas une espèce domestiquée. Il s’agit d’un animal sauvage, seulement apprivoisé au niveau individuel. Cela signifie qu’aucune sélection génétique sur des générations entières n’a été faite pour favoriser des traits comme la tolérance à l’interaction humaine prolongée, la stabilité émotionnelle face à l’inconnu, ou la capacité d’adaptation à divers environnements sociaux. Même un perroquet élevé à la main et très attaché à son humain reste un animal de proie naturellement en hypervigilance. Son calme apparent peut souvent être un état de figement (réponse de survie), et non une preuve de confort. L’observer debout immobile sur un bras entouré d’inconnus ne signifie pas qu’il apprécie la situation — cela peut traduire une inhibition liée au stress.
Les environnements de zoothérapie impliquent fréquemment des humains aux comportements variables : enfants débordants d’énergie, personnes en grande détresse émotionnelle, cris soudains, gestes brusques, tremblements, pleurs, éclats de rire imprévus. Pour un perroquet, ces stimuli peuvent être perçus comme menaçants. Un enfant qui approche trop rapidement, un adulte qui pleure en se crispant ou quelqu’un qui tente de toucher l’oiseau sans comprendre ses signaux de stress sont des situations typiques. Le perroquet, n’ayant pas la possibilité de fuite (vol restreint, harnais, perchoir imposé), se retrouve coincé dans un environnement non contrôlable. Contrairement à un chien de thérapie, entraîné à observer, s’adapter et se retirer doucement, le perroquet n’a pas été sélectionné pour ce type de tolérance. Ses réactions peuvent aller de la fuite panique à la morsure défensive violente.
Ce stress, qu’il soit répétitif ou prolongé, peut mener à des conséquences graves chez les psittacidés : automutilation (arrachage de plumes), cris excessifs, agressivité soudaine, perte d’appétit, immunodépression. Des études démontrent que les perroquets exposés à des environnements inconnus ou soumis à des transports répétés présentent une augmentation significative de la fréquence cardiaque et du cortisol, même lorsqu’ils semblent « calmes ». L’hypervigilance constante peut créer une fatigue mentale importante à long terme. Un perroquet qui ne peut pas s’éloigner d’un inconfort vit une forme de détresse émotionnelle. Il ne donne pas un consentement actif : il subit.
Un animal de thérapie ne devrait pas seulement être contrôlable, mais volontaire. Chez les chiens, le consentement peut être observé par l’approche spontanée, la posture détendue, les signaux positifs répétés. Chez le perroquet, les micro-signaux de refus sont souvent méconnus, voire ignorés : dilatation rapide des pupilles (pinning), crispation des pattes, respiration accélérée, plumage plaqué, figement, inclinaison du corps pour s’éloigner. Ignorer ces signaux revient à forcer l’animal à tolérer l’interaction. Or, un oiseau qui n’est pas libre de se retirer n’est pas réellement consentant.
Une séance de zoothérapie implique généralement des déplacements. Or, le vol est un comportement fondamental du perroquet. Le risque de fuite en cas de frayeur est élevé. Pour contrôler cela, certains envisageront la taille des ailes.
Pourtant, cette pratique est aujourd’hui dénoncée par de nombreux experts en bien-être animal, car elle retire à l’oiseau son principal moyen de sécurité, augmente son sentiment de vulnérabilité et peut amplifier le stress. L’alternative du harnais nécessite un long apprentissage positif et n’élimine pas les réactions de panique (battements d’ailes désespérés pouvant entraîner des blessures). Si un perroquet s’envole en séance, même brièvement, la responsabilité légale est immense, surtout si quelqu’un est effrayé, mordu ou blessé en tentant de l’attraper.
Toute pratique de zoothérapie légalement reconnue implique une assurance responsabilité civile couvrant spécifiquement les interventions assistées par un animal. Déclarer un chien ou un chat est relativement courant. Déclarer un perroquet est beaucoup plus complexe. Certaines assurances refusent les animaux considérés comme exotiques ou à risque de morsure. D’autres exigent des conditions très restrictives, voire des attestations comportementales spécialisées difficiles à obtenir. Le coût d’une telle couverture peut devenir extrêmement élevé, surtout si l’animal est classé comme à haut risque.
Il faut également comprendre qu’une formation en zoothérapie forme le praticien à l’accompagnement humain et à la médiation par l’animal. Mais cela ne confère pas automatiquement les compétences nécessaires pour décoder en temps réel les signaux faibles d’un perroquet, comprendre ses besoins de régulation, interpréter une dilatation pupillaire comme une montée d’adrénaline, ou reconnaître un état de figement en état de panique silencieuse. Pour qu’un perroquet soit potentiellement apte à un contexte d’accompagnement humain, il faudrait d’abord que la personne encadrante soit formée en éthologie aviaire spécialisée psittacine, entraînée au renforcement positif et capable de mettre en place des protocoles d’observation comportementale rigoureux, avec évaluations régulières du bien-être individuel.
À l’inverse, les chiens sélectionnés pour l’intervention assistée présentent généralement des traits recherchés : stabilité émotionnelle, tolérance aux inconnus, récupération rapide après stress, lecture intuitive de l’humain. Le perroquet, même très attaché à un membre de sa famille, peut soudainement rejeter une personne, refuser un contact ou développer un comportement agressif en raison d’un changement d’environnement ou d’énergie ambiante. Utiliser un perroquet en zoothérapie revient donc à demander à un animal sauvage apprivoisé d’endosser un rôle conçu pour une espèce domestiquée et génétiquement façonnée pour ce type de contexte.
Je crois profondément que chaque perroquet mérite une vie sécurisante, stable, avec des interactions sociales choisies, un environnement respectant ses codes de proie volante, et des humains à l’écoute de ses limites. Pour ces raisons, je ne considère pas le perroquet comme un animal adapté à la zoothérapie, car les risques physiques, émotionnels et éthiques sont supérieurs aux bénéfices potentiels. Ce n’est pas l’espèce qui détermine son aptitude, mais l’individu — et chez les psittacidés, la majorité des individus ne sont pas faits pour ce type d’exposition sociale et émotionnelle.
Si quelqu’un persiste malgré tout, voici les conditions minimales à respecter :
L’oiseau doit exprimer un consentement actif, observable et réversible à tout moment.
Aucun perroquet aux ailes taillées ne doit être utilisé. Le vol doit rester possible comme option de retrait sécurisée en environnement contrôlé.
Le thérapeute doit être formé en éthologie aviaire spécialisée psittacine.
Le perroquet doit bénéficier d’une habituation progressive, volontaire, basée sur le renforcement positif, sur plusieurs mois voire années.
L’oiseau doit pouvoir se retirer de la séance à sa demande (zone de retrait sécurisée).
Limiter strictement la durée et la fréquence des interventions.
Assurer une couverture d’assurance spécifique à l’espèce et à ce type d’interventions.
Évaluer régulièrement l’état émotionnel de l’oiseau avec des grilles validées de bien-être.
Arrêter définitivement les interventions au moindre signe de stress chronique ou de changement comportemental (cris, morsures, automutilation, isolement, apathie).
Prioriser le bien-être de l’animal au-dessus de l’objectif thérapeutique humain.
Sources et références suggérées :
– Clubb & Clubb (1992). Parrot behavior and captivity stress.
– Meehan, Garner & Mench (2003). Environmental factors affecting stereotypic behaviors in parrots. Applied Animal Behaviour Science.
– Woolley et al. (2019). Stress physiology in captive psittacines.
– IAHAIO White Paper (2014). Guidelines for Animal-Assisted Interventions — Consent and welfare.
– Bradshaw, G. (2009). The Parrot’s Lament: Stress and trauma in captive exotic birds.
– Martin & Bateson (2007). Measuring Behaviour: An Introductory Guide.
– AAHA/IAHAIO — Position statements sur le consentement animal en thérapie.
© Catherine Baribeau – Le Perroquet Informateur