Les perroquets sont des animaux grégaires. Cela veut dire qu’ils sont biologiquement, émotionnellement et psychologiquement programmés pour vivre en groupe. Dans leur habitat naturel, ils dorment ensemble, volent ensemble, s’appellent en permanence, se toilettent mutuellement et partagent tout : les émotions, la vigilance, la recherche de nourriture, les apprentissages. Leur bien-être dépend de ces interactions sociales continues. C’est une réalité biologique profondément ancrée, pas une préférence.
En captivité, cette nature sociale ne disparaît pas. Elle reste intacte, même quand l’oiseau vit seul. Mais l’absence de congénère transforme peu à peu son rapport au monde. L’isolement social — même dans une maison pleine d’humains aimants — crée un vide que rien ne peut complètement combler. On observe souvent, à court terme, des signes de stress, des cris répétés, une hyper-dépendance à l’humain, ou au contraire une forme de retrait. À long terme, cela peut mener à des troubles plus graves : automutilation, arrachement de plumes, comportements stéréotypés, agressivité ou apathie. Des études ont montré que des perroquets privés de contact avec leurs semblables développent même des marqueurs biologiques de stress chronique et de vieillissement accéléré.
Et pourtant, beaucoup de familles n’ont qu’un seul perroquet. Ce n’est pas de la négligence ; c’est souvent le résultat d’un manque d’information, de moyens financiers, d'espace ou de confiance.
Accueillir un deuxième oiseau, c’est un engagement important : plus d’espace, plus de bruit, plus de dépenses, plus de temps. Et l’idée d’une intégration qui tourne mal fait peur — à juste titre. Parce qu’une cohabitation entre deux perroquets ne s’improvise pas.
Comprendre avant d’agir
C’est ici que se joue une nuance essentielle : défendre le besoin biologique du perroquet d’avoir un congénère, ce n’est pas accuser ceux qui ont un seul oiseau. C’est rappeler que ce besoin existe, et qu’il ne faut pas le banaliser. Mais il faut aussi reconnaître la réalité des gens qui, parfois, n’ont pas les moyens, ni les connaissances, ni l’accompagnement pour le combler correctement.
Est-ce qu’en parlant du besoin de congénère, on risque d’augmenter le taux d’abandon ? Peut-être.
Mais la vraie question, c’est : un oiseau abandonné, seul, finira-t-il par trouver une famille où il aura enfin des congénères ? Et est-ce que le résultat est meilleur ? Difficile à dire. L’abandon reste un traumatisme : une rupture, une perte de repères, un stress immense. Ce n’est pas nécessairement la solution.
Alors la bonne réponse, ce n’est pas de cesser de parler du besoin de congénère. C’est de mieux accompagner les gens dans leur compréhension et leur prise de décision.
L’introduction d’un congénère, quand elle est bien faite, peut transformer la vie d’un oiseau. Mais quand elle est mal gérée, elle peut aussi causer de la peur, de la rivalité et de la détresse. Beaucoup de « mauvaises intégrations » n’échouent pas à cause des oiseaux, mais à cause de l’environnement ou du manque de préparation. Trop peu d’espace, pas de zones distinctes, une cage commune trop vite imposée, pas assez d’enrichissements, pas de repères visuels : tout cela crée des tensions. Un environnement bien conçu, au contraire, rend possible l’équilibre : zones de vol et de repos séparées, multiples perchoirs, ressources suffisantes, et surtout, la possibilité pour chaque oiseau de contrôler sa distance et son confort.
C’est pour cela qu’il est primordial de se faire accompagner. Les intégrations réussies ne sont jamais dues au hasard. Elles s’appuient sur des observations précises, une compréhension des comportements, un choix réfléchi du congénère (âge, sexe, tempérament, espèce), et un environnement adapté. Se tourner vers des ressources spécialisées — comportementalistes aviaires, refuges expérimentés, accompagnateurs de confiance —, c’est ce qui fait souvent la différence entre un échec et une cohabitation harmonieuse.
Ce qu’ils ont à gagner
Même lorsque deux perroquets ne deviennent pas amis, ils peuvent tout de même bénéficier de leur simple présence mutuelle.
Un oiseau qui n’est plus seul peut s’exprimer différemment : il observe, apprend, vocalise, partage une forme de vie commune. Il ressent qu’il n’est plus “le seul de son espèce”. Cette coexistence, même distante, apporte du calme, de la sécurité et un sentiment d’appartenance. C’est un enrichissement émotionnel et comportemental que l’humain, malgré tout son amour, ne peut pas offrir.
Les bienfaits sont nombreux : une meilleure stabilité mentale, moins de comportements destructeurs, plus de jeux, de curiosité, d’énergie, et souvent un retour à une expression comportementale plus naturelle.
On remarque aussi une baisse des comportements d’hyper-attachement ou d’anxiété de séparation, car l’oiseau retrouve un repère social plus équilibré.
Cependant, il faut aussi parler des exceptions, car oui, il y en a.
Certains perroquets, trop imprégnés à l’humain dès le plus jeune âge, ne reconnaissent plus les autres oiseaux comme des semblables. Ils peuvent se montrer agressifs, peureux ou indifférents face à un congénère. Dans ces cas-là, forcer une cohabitation pourrait causer plus de mal que de bien. Ce sont des situations particulières, qui exigent de la patience, de la compréhension et, souvent, l’aide d’un professionnel pour évaluer jusqu’où il est possible d’aller. Mais ces cas demeurent rares : dans la grande majorité des situations, les perroquets tirent profit d’une vie sociale avec d’autres.
En fin de compte, ce texte n’est pas un jugement.
Si vous avez un seul perroquet, ce n’est pas une faute, et encore moins une raison d’envisager l’abandon. Vous ne le saviez peut-être pas — et c’est justement pour cela qu’il faut en parler. Le savoir, c’est déjà offrir un peu mieux.
Mais si un jour, vous envisagez d’adopter un congénère, faites-le bien. Cherchez du soutien, des ressources fiables, des gens d’expérience. Adaptez votre environnement avant d’introduire un autre oiseau. Parce qu’un perroquet ne vit pas seulement dans un espace physique, il vit dans un système social et émotionnel.
Aimer un perroquet, ce n’est pas seulement le nourrir ou le divertir ; c’est lui permettre d’être ce qu’il est : un être profondément social, sensible et intelligent, fait pour partager sa vie avec ses semblables.
Et quand on lui offre cela — dans de bonnes conditions —, on ne fait pas que combler un manque : on lui rend une part de son identité.
Références
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Schmid, R. et al. (2006). Behavioral and physiological consequences of social isolation in parrots. Animal Welfare.
Meehan, C.L. & Mench, J.A. (2007). The challenge of challenge: can problem solving opportunities enhance animal welfare? Applied Animal Behaviour Science.
Cussen, V.A. & Mench, J.A. (2015). The Relationship between Personality Dimensions and Parrot Behavioural Problems. Applied Animal Behaviour Science.
Avian Welfare Coalition. Welfare and Suitability of Exotic Birds.
Clark, P. (2018). Avoid the Pair Bond: Social Relationships with Parrots.
BVNA. Understanding Parrots’ Behavioural Needs.
Review : What We (Don’t) Know About Parrot Welfare (2024), ResearchGate.
© Catherine Baribeau – Le Perroquet Informateur